1-Pouvez vous vous présenter en tant qu’artiste, votre démarche et votre parcours artistique de façon générale?
Je suis artiste sonore, compositeur, improvisateur, enseignant et guitariste installé à Reims. Mon travail se focalise depuis plusieurs années sur les créations musicales et sonores électroniques ou électroacoustiques. Mes recherches se concentrent notamment sur les phénomènes de spatialisation «fantôme» par le développement d’outils destinés aux illusions d’espaces sonores comme l’écoute combinée sous casque et enceintes (avec des pièces comme Anoph Speia ou Segments) ou par la mise en résonance de lieux à l’acoustique “impure” (hangars, halls, parkings etc). Je m’intéresse également beaucoup à la question de la diffusion du champ sonore et sa perception par l’auditeur : qu’est-ce qu’écouter quelque chose, quelque part (projet Spin) ?.
J’anime régulièrement des ateliers pédagogiques autour de ces pratiques. Je suis très attaché à l’idée de l’improvisation et j’essaie de garder, le plus possible, le contact avec des instrumentistes-improvisateurs. Mes collaborations récentes m’ont amené à travailler avec des musiciens, compositeurs ou artistes sonores comme Martijn Tellinga, Fabien Cali, Alexandra Grimal, Luis Vina, José Alberto Gomes et João Menezes (Digitopia Collective, Porto) ou Sylvain Darrifourq.
Je travaille également beaucoup avec des plasticiens ou artistes visuels dont j’apprécie l’approche qui m’oblige souvent à penser différemment qu’en « musicien ».
Dernièrement, mon travail a été présenté à Reims (CNCM Césaré, entre autres), Porto (Sonoscopia Associacão, Portugal), Leicester (Code Control Festival, GB), Journées Européennes du Patrimoine (Halles du Boulingrin – Reims), Festival Sunnyside, Université de Reims (installation sonore sur 48.2 micro-canaux audio intitulée Byte[8]) ou, très récemment, lors de la 24ème édition du Festival de Jazz de Guimarães (Portugal) et à l’École des Beaux Arts de Stettin (Pologne). Je suis artiste associé à 23.03, collectif pour l’art contemporain et membre du collectif d’improvisateurs Tacomma, tous deux basés à Reims.
2-Pouvez vous nous parler du projet que vous présentez à Electropixel?
Comment êtes vous arrivé à créer un tel travail? Le processus, les étapes de création, les influences, les échecs et ouvertures, expérimentations.
MetaPHN est nouvelle création présentée ici dans sa phase de développement, en version longue. Je travaille également pour 2017 à une version beaucoup plus brève en compagnie du photographe et vidéaste Romuald Ducros avec l’ajout de video et de manipulations chimiques et biologiques réalisées, traitées et diffusées en temps réel.
Le thème principal de metaPHN est l’idée de la métamorphose, en tant que processus biologique et plus précisément, la phase d’autophagie où un corps vivant, à l’état larvaire ou moléculaire, se nourrit de lui-même afin de trouver l’énergie nécessaire à son processus de métamorphose : il se détruit en s’organisant.
Je suis fasciné à l’idée que deux « êtres » puissent vivre en un seul, l’un devant nécessairement détruire l’autre (c’est à dire, lui même!) pour advenir.
La pièce s’inspire également des écrits du neurobiologiste Francisco Varela au sujet de l’auto-organisation, l’autopoïèse où un système lutte afin de maintenir son organisation face à son environnement et ralentir ainsi sa propre entropie.
Dans metaPHN, le « corps sonore vivant » est créé à partir de quelques millisecondes de chant liturgique injectées dans un système récursif (souvent appelé feedback network) où le son se régénère sans cesse en s’organisant, en modifiant son timbre avant de l’absorber et le digérer de nouveau. Lorsque le système tend vers la stabilité et en fonction de sa texture spectrale, apparaît une sorte de pulsation très lente, grave qui semble, à la première écoute devoir être éternellement la même alors qu’elle se trouve dans un micro-mouvement, une évolution permanents.
À ce matériau viennent s’ajouter des sons étranges, textures, grésillements, grains électroniques que j’appelle « résidus » et qui forment l’environnement dans lequel « vit, meurt et renait » sans cesse le système, en fonction de mon intervention qui, elle, est totalement improvisée.
Le projet en est à sa toute première phase (puisqu’il est présenté pour la première fois ici, à Electropixel #6) et devrait occuper une bonne partie de mon année 2017. Il est déjà soutenu par le Centre national de création musicale Césaré ainsi que l’Université de Reims Champagne-Ardenne car nous souhaitons vraiment y associer des chercheurs et des laboratoires de chimie moléculaire. Nous sommes également à la recherche de lieux de résidence car nous allons devoir nous livrer à un gros travail d’expérimentation pour la partie manipulations chimiques, notamment. Idéalement, nous souhaiterions qu’il y ait une forme d’interaction en temps réel entre le son et l’image par le contrôle de l’évolution des processus chimiques que nous allons tenter d’organiser, via des systèmes Arduino ou équivalent.
Je souhaite également continuer à developper la pièce dans sa version audio seule car elle pose une problématique qui m’intéresse depuis longtemps : celle du rapport à la durée et à l’espace d’écoute qu’elle pose à l’auditeur lorsqu’elle est jouée de manière très longue. La pièce, telle qu’elle est conçue, force l’auditeur à ce que j’appelle une « micro-écoute » c’est à dire une écoute extrêmement détaillée pendant une durée très longue car c’est le seul moyen de percevoir son évolution très lente. Ce qui m’intéresse ici est de donner à entendre à l’auditeur ma propre perception du timbre, de la pâte sonore ou pour le dire autrement et en paraphrasant le philosophe Peter Szendy, « comment faire écouter mon écoute » !
À ce jour, la plus grande difficulté est liée au contrôle de la qualité du timbre sortant du système car, à certains moments, la texture sonore peut véritablement « m’échapper » (le système devenant presque totalement autonome) et s’avérer assez douloureuse pour les oreilles…
3-Que signifie pour vous le Powerhack? En quoi ce sujet est en lien avec votre approche artistique?
La définition s’avère très ouverte par sa polysémie et son étymologie : on pourrait par exemple interpréter le mot power non pas en terme de pouvoir mais plutôt de puissance, ce qui existe en puissance, qui possède donc une potentialité, laquelle n’attend que son actualisation. Hack, débarrassé de son acception française assez péjorative, piratage pourrait être entendu comme détournement ou contournement. J’aime l’idée que le détournement soit partout en puissance, partout possible, prêt à s’actualiser à la seule condition que l’on ose essayer de renverser l’ordre apparent des choses.
Dans metaPHN, toute la pièce existe en puissance dans le détournement de ces quelques centièmes de secondes de chant liturgique au timbre original très pur et brillant qui est ici comme figé ; du temps musical arrêté en quelque sorte, attendant son actualisation et donnant naissance à une sorte d’organisme sonore vivant, presque autonome. Il m’est d’ailleurs arrivé de penser cette pièce comme un « ghost in the machine », un être sonore qui existe quelque part dans la RAM de mon ordinateur et tente de m’échapper pour exister à sa façon, dans une temporalité autre, binaire et électrique.
4-Qu’est ce que le festival electropixel représente pour vous? En quoi pensez vous qu’un festival de ce type est important pour le paysage artistique actuel? Comment voyez l’avenir pour ce genre d’espace de diffusion?
Un des rares espaces de création pour des formes parfois considérées comme « radicales » ou « difficiles » (je me méfie beaucoup du vocable « expérimental » qui ne signifie grand chose aujourd’hui). Il devient compliqué, en France, de trouver des espaces, des lieux de résidences ou de diffusion qui s’engagent en soutenant des projets dont l’approche pourrait, à première vue, ne pas attirer les publics (peut-être simplement, souvent, par manque de temps de médiation).
La situation du financement public de la culture ces temps-ci fait que peu de structures ont réellement la liberté de prendre des risques artistiques aussi, je pense que les plus aguerries et autonomes d’entre-elles (comme apo33) ont une carte à jouer car leur liberté est peut-être plus grande et elles ont sans doute déjà acquis une expérience importante dans le domaine de l’auto-organisation. J’ai eu l’occasion d’aller travailler au Portugal ou en Europe de l’Est à plusieurs reprises ces dernières années. Ce sont des pays où les artistes ont du apprendre très vite à s’organiser collectivement, après la crise de 2008, 2009 notamment et la vivacité ainsi que la créativité dans ces pays est stupéfiante ! Je ne veux surtout pas dire par là que le dénuement favoriserait la créativité et la prise de risques mais, une certaine forme d’indépendance vis à vis des institutions, certainement !
5-Au delà de l’idée que l’art dépasse les genres et catégories, que pensez-vous des nouveaux champs de l’art numérique? Comment voyez vous ce genre “art numérique”? Pour vous c’est quoi les différences entre art numérique, art électronique, net art, création multimédia, art sonore…etc?
Quelles conséquences ce genre de catégorisation amènent dans votre approche de l’art et de la création?
J’ai le sentiment que nous allons vers une sorte de synthèse provisoire, de convergence des champs d’exploration audio et video grâce aux possibilités offertes par les technologies de VR (Occulus Rift, Google Glasses etc), des nouveaux modes d’écoute (le binaural, notamment mais pas exclusivement) et des nouvelles interfaces de contrôle et modes de connexion (Internet of Things). Je crains cependant que l’individualisation des modes d’écoute et au-delà, d’accès, participe à une séparation des corps déjà largement entamée et pas seulement par les « nouvelles technologies » ; il y a déjà bien longtemps que l’auditeur est contraint à la situation statique dans l’enceinte de la salle de concert où toutes les relations aux personnes comme aux objets semblent fétichisées. Ceci est assez contradictoire puisque je donne moi-même, depuis plusieurs années des concerts sous casque qui interdisent, de fait, la communication entre auditeurs durant la performance. Je tiens par contre précieusement à ce que cette communication, cet échange aient lieu après la performance. À titre personnel, je ne suis pas séduit par les artefacts courants de la pensée trans-humaniste et je continue à placer le corps, la sensation de la pression acoustique, la danse (fut-elle intérieure) au centre de l’acte musical. La musique (ou de manière plus générale, le son) et le corps me semblent indissolublement liés par l’action du temps et il ne saurait, à mon sens, y avoir de plaisir musical sans un plaisir premier du corps. Cela peut paraître étonnant dans la bouche d’un artiste travaillant presque exclusivement en numérique mais, si j’essaye de me tenir informé de ce que produisent les nouvelles technologies (en terme d’outils mais également sur un plan plus fondamental, socio-politique), je m’en méfie toujours un peu afin de ne pas me laisser submerger par le tournoiement des nouveautés incessantes !
Crédit photo : Paulo Pacheco